Les conflits armés commençaient à être oubliés en Europe, quand dans sa proche périphérie, l’Irak, la Libye, la Syrie ou le Yémen sont devenus des théâtres de conflits sanglants. La sauvegarde du patrimoine culturel tangible y a malheureusement connu récemment une dimension tragique lors d’évènements récents. C’est sur ces situations que nous concentrerons nos propos.
Il serait difficile d’énumérer tous les lieux qui ont été le théâtre de combats. Même les fortifications médiévales ont repris du service, comme le Crac des Chevaliers, al Madiq ou le château surplombant Palmyre. Parfois, des insurgés en armes légères prétendaient les défendre avant d’en être chassés par une dévastatrice puissance de feu. Les tells archéologiques1 ont été victimes du même phénomène quand des tranchées défensives y étaient creusées. Des villages traditionnels sans valeur stratégique comme Maaloula ont été attaqués à plusieurs reprises par le groupe djihadiste al Nousra. De pittoresques villages aux dômes de terre restent encore abandonnés.
Les quartiers anciens aux rues étroites représentent des terrains de repli idéaux pour des combattants dépourvus de défense aérienne. La vieille ville d’Alep par où passait la ligne de front a connu tous les moyens de destruction possibles : les incendies, les mortiers, l’artillerie, les “canons d’enfer”, les barils d’explosifs, le minage à la dynamite, etc. Le centre de Homs a également souffert. Les bombardements aériens de la coalition sur Mossoul et Raqqa n’ont guère été plus cléments, ni pour le bâti, ni pour la population. Ces destructions rappellent la seconde guerre mondiale. Beaucoup moins d’images nous sont parvenues du Yémen, mais des bombardements y ont néanmoins été documentés à Sanaa et ailleurs. Toutes sortes de monuments historiques ont évidemment été touchés. Les parties belligérantes s’en renvoient la responsabilité. Avec l’accalmie, le site le plus menacé d’une reprise des combats est celui des villages antiques du nord, inscrit au Patrimoine mondial.
Aux faits de guerre se sont ajoutées des destructions volontaires, que l’on croyait inimaginables ou révolues depuis des siècles. La destruction des Bouddhas de Bamyan en avait déjà été en 2001 une manifestation. En Irak, le soi-disant “État islamique” (Daech) s’en étaient prit dès 2011 à des sites antiques comme Ashur, Hatra, Nimroud ou Ninive au nom d’une supposée lutte contre le polythéisme. Les sites chrétiens et chiites de Mossoul et de la plaine de Ninive en avaient également pâti. Quant à la communauté Yazidis du Sinjar, elle fut l’objet d’une entreprise génocidaire avec l’esclavage des femmes et la destruction des lieux de culte. En Syrie, la conquête de Palmyre fut suivie de la démolition du cimetière musulman, puis du dynamitage de l’arc de triomphe, des temples de Baalshamin et de Bel, du tétrapyle, du portique intérieur du théâtre et de tours funéraires. En Libye, la comparaison des photos aériennes par le groupe universitaire britannique EAMENA semble conclure que 80% des dômes de zawiyas soufies (ou “marabouts”) ont disparu en l’espace de quelques années seulement après 2011. Rappelons que dans certaines régions de l’Ex-Yougoslavie, ce sont les mosquées qui étaient systématiquement détruites.
Les sites archéologiques en cours d’étude ou potentiels n’ont pas été épargnés non plus. Daech arrondissait son budget en accordant des permis de fouille, dont le récipiendaire s’engageait à lui verser un cinquième du produit de ses découvertes. Ailleurs, l’insécurité et l’absence d’autorité laissaient le champ libre aux pillards, dont certains s’équipaient de détecteurs de métaux et de bulldozers pour aller plus vite. Le site d’Ebla a été dévasté alors que nous parvenaient des vues hallucinantes d’Apamée, Doura Europos, Mari et tant d’autres, grêlés de trous serrés. Les objets trouvés ne seront probablement presque jamais retrouvés et surtout identifiés. Contrairement aux véritables découvertes archéologiques, ils ne pourront être précisément rattachés à un site, à un bâtiment, à un accompagnement d’artefacts ou à une histoire. De plus le mélange des couches de terrain handicapera l’interprétation de possibles recherches à venir. Le pillage des bâtiments de stockage des fouilles avant inventaire, risque également de laisser peu de traces. Des pages potentielles auront été anéanties en quelques années de l’histoire de l’humanité. Quant aux sites exhumés laissés sans protection, ils disparaissent peu à peu avec la pluie et le vent.
Qui ne se souvient du pillage du musée de Bagdad en 2003, alors que les tanks américains n’étaient qu’à deux pas. Par contre, c’est une chaîne humaine qui a protégé le musée du Caire lors des évènements de la place Tahrir en 2011. S’étant emparé de Mossoul, Daech prit un plaisir à filmer et diffuser son saccage du contenu du musée de Mossoul.
La Syrie disposait de plus de trente-cinq musées, dont deux grands, à caractère national à Damas ; les autres étant souvent répartis pour des raisons pédagogiques et touristiques dans des villes et parfois de petites localités de province. Instruite par l’exemple irakien, la Direction générale des antiquités et des musées (DGAM) a très vite organisé l’évacuation des deux principaux musées dans leurs villes respectives, le reste mériterait le scénario d’un film hollywoodien. À Palmyre, l’arrivée de Daech ayant surpris, seuls de petits bustes ont été entassés à la hâte dans des camions ayant démarré d’un côté, alors que Daech entrait en ville de l’autre. Les restes des plus beaux bustes restés scellés aux murs jonchaient le sol au départ des djihadistes. Assiégée de tous côtés par Daech, la ville de Deir Ezzor, risquait de tomber. Les caisses du musée ont dû être chargées dans un avion militaire rapatriant les cercueils des soldats tombés au combat.Certains musées ont recommencé à ouvrir, mais ce sera nettement plus ardu pour ceux saccagés à Mossoul et Palmyre.
Les professionnels du patrimoine sont relativement impuissants dans les zones les plus exposées tant que durent les combats. Les travaux urgents et de maintenance doivent malheureusement cesser aussi, ajoutant de nouvelles causes de fragilisation et de perte. À la fin des violences, de premières photos émergent. Des drones permettent aujourd’hui d’assurer rapidement des vues d’ensemble. Une fois le terrain déminé, des inventaires et des croquis rapides permettent d’établir un premier diagnostic de la situation. Des constructions clandestines peuvent être découvertes. Les travaux de consolidation et de protection des éléments naturels sont prioritaires. Une fois définies les priorités d’action, des projets de restauration peuvent être lancés.
À Beyrouth, après la guerre civile de 1990, le mode opératoire avait été de confier la reconstruction du centre-ville à Solidere, une grande société privée. Les ayant droits en recevaient des actions en compensation. Ce quartier à l’architecture contemporaine riche et élégante n’a toutefois pas retrouvé son animation et sa centralité d’autrefois. À Mossoul, la reconstruction reprend difficilement, notamment en raison de mines et d’explosifs, avec quand même la restauration de l’église Notre Dame de l’Horloge et de plusieurs mosquées. L’Unesco a organisé un concours international pour la restauration-reconstruction de l’emblématique mosquée al Nouri. Des groupes de la société civile et des architectes irakiens regrettent toutefois la solution retenue. Et de ne pas avoir été associés.
En Syrie, des actions pilotes ponctuelles ont déjà été entreprises en différents endroits, comme la reconstruction du village symbolique de Maaloula, de ses églises et de ses maisons vernaculaires traditionnelles en vue d’inciter ses habitants à revenir. À Homs, le programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a décidé après consultation de la population de reconstruire les souks (environ neuf cent cinquante boutiques) en vue de procurer des emplois, de relancer l’économie et de faciliter la vie de la population revenue. À Alep, la fondation Aga Khan a restauré le souk al Saqatiah d’une manière si exemplaire que le prix architectural 2020 de l’ICCROM Sharjah lui a été attribué. Des prolongements dans les souks environnants ont commencé.
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- Un tell (ou tel) est un site en forme de monticule qui résulte de l’accumulation de matières et de leur érosion sur une longue période, sur un lieu anciennement occupé par les hommes. Il s’agit d’une colline artificielle formée par les différentes couches d’habitations humaines. Les premiers tells apparaissent au début de la Néolithisation au Proche-Orient et en Turquie et certains sont encore occupés aujourd’hui. Le mot tell est emprunté à l’arabe تلّ (tall) (“colline”, “monticule”). L’hébreu תל (tel) signifie de même “colline” ou “pile” (ou “ruine”). Source Wikipedia. ↩